Par Thierry Covolo.
2 novembre 2075.
Kacem a souvent rêvé de cette date ces dernières années. Peut-être pas exactement cette date, mais en tout cas ce qu’elle symbolise : la fin de son apprentissage, la vie qui s’offrirait à lui après le verdict du Concours National. Comme beaucoup d’aspirants médecins, il s’est lancé dans l’aventure avec une idée fantasmée de son futur métier, oubliant que, plus que ses aspirations, ce serait le Concours et son classement qui décideraient de son avenir.
Kacem rentre chez lui après sa première journée au Centre Local du Régime Bienveillant de la cité Cola-7.
On avait espéré voir le soleil aujourd’hui – la presse avait fait grand battage autour de l’événement – mais le ciel est resté plombé. À l’image du moral de Kacem. Il avait déjà exercé la fonction de MédOp dans un Centre Local à l’occasion d’un stage de trois mois. Il avait trouvé le boulot d’Opérateur inintéressant mais acceptable. Mais ce soir, tandis que le Tube le ramène à l’appartement qu’il loue depuis deux semaines dans cette cité nouvelle, il ne parvient pas à chasser de son esprit cette certitude : je ne suis pas fait pour ce travail !
Kacem appuie sa main contre la porte d’entrée et celle-ci s’efface devant lui. Les publicités s’affichent simultanément sur tous les écrans de son appartement. Impossible de leur échapper durant le quart d’heure qui suit. Depuis que la dernière crise a définitivement tari les fonds publics, il a bien fallu trouver un moyen de financer les services aux citoyens. Tout le monde s’y résigne, mais personne ne s’y fait. Kacem attend la fin de la séquence puis il appelle Perry. Son camarade de promo lui a laissé plusieurs messages. Pour lui aussi, c’est le premier jour. Mais son classement de milieu de tableau lui a permis de débuter en tant que MédAn du Régime Bienveillant. Un Analyste, c’est deux grades au-dessus d’un Opérateur. Perry analyse les données de santé que les Opérateurs comme Kacem préparent à partir des traitements que réalisent les Méd-IA, les intelligences artificielles, dans les Centres Locaux.
Le visage de Perry s’affiche.
– Alors ? lui demande-t-il.
– Le MédSup est un con, répond Kacem. Ça fait dix ans qu’il est le Superviseur de ce Centre, et il lui en a fallu autant pour y parvenir. Tout le monde, lui y compris, sait qu’il ne passera jamais Analyste. C’est un aigri. Il mène une vie impossible aux MédOps.
– Faut pas que tu baisses les bras, dit Perry, visiblement désolé. Si tu bosses bien, d’ici trois ans tu seras promu MédSup quelque part. T’en as les moyens, Kacem ! Faut juste que tu le veuilles. Tu as planté le Concours à cause de ta tête de mule. T’as pas voulu bosser les gros coefs, comme la BioMéc, la ManipGén ou les algos des Méd-IA. Franchement, ça sert à quoi aujourd’hui d’être un crack en anatomie ou en maladies infectieuses ? Reviens dans la vraie vie, le bouscule-t-il. Je te l’ai dit mille fois : la médecine des vieux bouquins que tu dévores n’existe plus. On est là pour servir le Régime Bienveillant, pour que les Méd-IA et les Méd-bots* fassent bien le boulot. Notre job, c’est que l’informatique et les robots soient toujours plus efficaces et moins chers. Rentre-toi ça dans la tête, mec ! Plus aucun médecin ne voit un patient. À part ceux qui s’occupent d’améliorer les Elites, bien sûr. Mais ça, c’est pas pour nous. Pour ça, il aurait fallu naître dans une Dynastie…
*Robots chargés d’interagir avec les patients
Avec la collaboration de

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