Un système de santé inégalitaire sur fond de corruption

Le regard tout en nuance de Français expatriés à Moscou

Publié le 14/12/2011
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Crédit photo : D Chardon

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DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

SOPHIE ANDREOLI a été la première Française à faire ses études de médecine en Russie. Six ans de cursus pour devenir généraliste. Elle consulte à domicile, à Moscou. Ses patients sont français. Les Russes vont directement chez le spécialiste, car « ils voient les généralistes comme des sous médecins ».

Son expérience a modifié le regard qu’elle porte sur les hôpitaux russes. La corruption ? Pas si simple, raconte-t-elle : « Des médecins abusent peut-être, mais parfois, c’est le patient qui insiste. Une grand-mère, pendant mon stage en chirurgie générale, a glissé dans ma poche une enveloppe de billets avant d’être opérée. Elle avait économisé dur et disait que ça lui faisait plaisir. Comment refuser ? J’ai fini par accepter ».

Autre cliché battu en brèche : la qualité des soins n’est pas si douteuse que cela. Elle force même, parfois, l’admiration des Occidentaux. Et Sophie Andreoli de citer le cas de cet enfant défenestré, très bien pris en charge par les premiers secours, avant d’être opéré et miraculeusement remis sur pied par l’hôpital du Dr Rochal (Le Quotidien du 7 décembre), alors que les membres du garçon étaient comme broyés.

Mais les inégalités restent criantes. « Les hôpitaux ont été refaits à Moscou grâce à l’argent du pétrole. C’est plus compliqué à la campagne », note le Pr Jean-Luc Pouly, chef du service de procréation médicalement assistée au CHU de Clermont-Ferrand. Le Pr Pouly est intervenu aux assises franco-russes en santé cet été à Moscou (1). Il se rend souvent en Russie, et reste marqué par sa découverte, en pleine Perestroïka, d’une ville perdue sans voiture, à l’éclairage et aux vitrines follement tristes. Depuis son premier contact, la Russie s’est mise aux techniques modernes « avec plus ou moins d’efficacité ». « Le système de santé a énormément évolué, pour le meilleur et pour le pire, car il y a parfois des magouilles », concède-t-il.

Illustration en juin dernier, avec l’arrestation retentissante d’un médecin-chef de l’armée russe et de son adjoint, qui ont surfacturé l’achat de scanners et d’IRM pour l’armée. Le général et son colonel sont également soupçonnés d’avoir préparé le meurtre d’un témoin gênant, un ancien vice-ministre de la Santé, lui-même poursuivi pour corruption. L’affaire a provoqué une grave pénurie de médicaments dans les hôpitaux militaires, ralentissant l’activité de leurs blocs.

« La médecine, en Russie, c’est du commerce, résume Bruno Gauthier, un dentiste français qui a monté un centre médical il y a dix ans à Moscou. Les patients exigent les dernières technologies. Les médecins, pour s’adapter, vont voir à l’étranger ». La Mecque au plan financier ? « Les Français croient qu’on gagne 4 000 euros par jour ici, c’est faux! Je gagne plus qu’à Paris, mais les charges augmentent, et la vie coûte très chère ». L’évolution des mentalités bouscule la relation médecin-malade. « Grâce à la télévision, observe Sophie Andreoli, les gens commencent à comprendre qu’ils ont des droits face aux médecins qui se croient tout puissants. Ils se lancent dans des procès, qu’ils gagnent souvent ».

(1) Pour plus d’informations sur les relations franco-russes en santé : http://www.ambafrance-ru.org/spip.php?article7321

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9058