De Moscou à Krasnoyarsk, en Sibérie

Les défis de santé du plus grand pays du monde

Publié le 09/11/2011
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Crédit photo : D Chardon

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Crédit photo : D Chardon

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Crédit photo : D Chardon

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

PLUSIEURS fléaux rongent la Russie. La corruption, la bureaucratie, la violence. Un Russe sur cinq déclare vouloir quitter son pays, l’un de ceux où l’on se suicide le plus. Où l’on avorte le plus, aussi (voir encadré). Chaque année, cet immense territoire perd 500 000 habitants, quand bien même le taux de natalité redécolle.

La route, le tabac et l’alcool fauchent prématurément la vie des hommes. En cause également, l’absence de prévention sanitaire. Les diagnostics tardifs sont légion : plus d’un cancer sur deux est identifié au stade 3-4. Avec un taux de survie de 50 % à cinq ans pour les malades du cancer, et une mortalité cardio-vasculaire cinq fois supérieure à celle de l’Europe de l’Ouest, la Russie peut mieux faire. Les inégalités d’accès aux soins nourrissent l’insatisfaction générale. Dans un pays vaste comme 31 France, les déserts médicaux trouent la carte. Seulement 7,4 % des médecins russes exercent en zone rurale, là où résident 27 % de la population. Certains hôpitaux sont en piteux état : pas d’eau chaude pour 30 % d’entre eux. Plus de la moitié du parc d’imagerie est obsolète.

C’est dans ce contexte dégradé que les Russes éliront un nouveau président de la République en mars 2012. En attendant le coup d’envoi de la campagne, sans doute en décembre à l’occasion des législatives, le binôme Medvedev-Poutine poursuit sa politique de modernisation. La santé a été érigée en priorité nationale. Une vigoureuse reprise en main est opérée par le pouvoir central afin d’harmoniser les pratiques médicales du Caucase à la Sibérie, de Moscou à Sakhaline, cette île au nord du Japon où l’on se fait transporter par hélicoptère pour être opéré sur le continent.

3,2 % du PIB consacré à la santé.

Les dépenses de santé ont triplé : de 560 milliards de roubles en 2005 (2,6 % du PIB - 13 milliards d’euros), elles sont passées à 1 450 milliards de roubles en 2010 (3,2 % du PIB - 34 milliards d’euros). Le gouvernement a débloqué 460 milliards d’investissements supplémentaires en 2011-2012 (11 milliards d’euros). Déjà, les premiers effets se font sentir. Progression de l’espérance de vie (5 ans de plus depuis 2005), ouverture de centres de haute technologie, achat de matériel médical : le Premier ministre a listé les points positifs pour remobiliser les troupes lors de son intervention au forum des professionnels de santé, en avril dernier. Vladimir Poutine a promis aux médecins de meilleurs revenus. Un salaire mensuel de quelques centaines d’euros ne permet pas de se loger dans les grandes villes, alors, souvent, les praticiens cumulent un second emploi. Et manient avec dextérité la pratique du dessous-de-table.

La France, déjà partenaire de la Chine dans le champ hospitalier (voir notre reportage paru fin 2010), renouvelle l’opération pour exporter son savoir-faire. Des hôpitaux russes et français se jumellent. Les premières assises de la coopération franco-russe en matière de santé se sont tenues en juillet à Moscou, en présence de la ministre russe de la Santé, Tatiana Golikova, et de Nora Berra.

« Le Quotidien » a couvert l’événement, point de départ d’un reportage en trois étapes : Moscou, Krasnodar, proche de la mer Noire, et Krasnoyarsk, au beau milieu de la Sibérie. Trois étapes au sein de l’immense fédération de Russie, composée de 83 régions et républiques. On se soigne différemment à Moscou, où la médecine moderne a pignon sur rue, ou dans un hameau perdu au fond de la taïga. La ville de Krasnoyarsk, hyperpolluée, ne s’est pas relevée économiquement de la perestroïka. Ses habitants y sont plus malades qu’ailleurs. Le Kremlin en a fait une ville pilote, et y finance d’importants projets sanitaires, dont l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) est partenaire. Pilote, la ville de Krasnodar l’est aussi à sa manière. L’un de ses hôpitaux se veut exemplaire en matière de gestion : dessous-de-table interdits, salaires médicaux revalorisés, techniques de pointe. C’est ici qu’a eu lieu l’une des premières greffes bipulmonaires de Russie, réalisée avec le concours du Pr Gilbert Massard, un PU-PH strasbourgeois récemment sacré « meilleur médecin de Russie » par les autorités. Rencontre sur place avec le Pr Massard et le médecin-chef de l’établissement, un personnage haut en couleurs.

Le blues de deux chirurgiens.

Autre médecin-chef, cette fois d’un hôpital pédiatrique réputé à Moscou, le Dr Leonid Rochal est une vedette nationale. Dans la lutte entre pro-Kremlin et détracteurs du pouvoir, Rochal se situe plutôt dans la seconde catégorie. Mais il cultive d’étroits rapports avec Poutine. Fer de lance de la contestation médicale dans son pays, il explique au « Quotidien » pourquoi il ferraille contre un projet de loi en cours d’examen parlementaire. Deux chirurgiens moscovites racontent leur blues d’être si peu reconnus par le pouvoir en place - « Un député gagne 18 fois mon salaire! », se désole le chef de service. Des patients se livrent aussi, déçus ou enthousiastes. Résignés, souvent. L’amère expérience de la perestroïka, les attentes déçues des années 1990, ont renforcé la méfiance des Russes vis-à-vis de la classe dirigeante. Vivons aujourd’hui sans nous soucier de demain : plus que jamais, le dicton russe paraît d’actualité.

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9038