DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
CINQ MILLIONS de personnes vivent dans la région (le « kraï ») de Krasnodar, à 1 200 km au sud de Moscou. De l’agroalimentaire et du tourisme, principalement. Les capitaux y affluent depuis que la ville de Sotchi a été désignée pour les JO d’hiver de 2014. Ponts, voies ferroviaires, train à grande vitesse, nouvelles habitations : des milliards sont investis pour honorer le rendez-vous mondial.
La médecine a pris le train en marche. Connue dans toute la Russie pour ses résultats médicaux, la région se flatte d’avoir l’un des meilleurs hôpitaux du pays, l’hôpital n°1 de Krasnodar. Les 26 salles d’opération turbinent : 2 000 cœurs ouverts par an, 1 500 chirurgies pulmonaires, 10 000 cas en cardiologie interventionnelle. Deux fois l’activité du CHU de Strasbourg, pour un budget annuel de 2,5 milliards de roubles (60 millions d’euros). Unique centre de transplantation dans le sud de la Russie, l’hôpital n°1 de Krasnodar a réalisé 83 greffes l’an passé. Viktor, le torse barré par un long pansement, vit avec un nouveau cœur depuis trois jours. À 50 ans, après un arrêt forcé pour raison de santé, il espère retourner rapidement sur les chantiers. Ses revenus sont maigres, mais il n’a pas versé un rouble pour son opération. « Les médicaments sont payés par le gouvernement pour le reste de ma vie », dit-il. Dans le service d’à côté, trois patientes en attente d’une greffe pulmonaire se partagent une chambre depuis plusieurs semaines. L’une d’elles, originaire de Sotchi, se réjouit des conditions d’accueil : « L’oxygène, les médicaments, le séjour, tout est gratuit ici. Dans les autres régions, il faut payer ».
La carotte et le bâton.
La région, berceau de l’industrie pétrolière du pays, est généreuse. Le gouverneur, un proche de Poutine, a fait de la santé sa priorité : 20 % du produit régional brut y sont investis. Plutôt que de disséminer l’argent, le choix a été fait de miser sur l’hôpital n°1 (1209 lits). Ses bâtiments obsolètes ont été reconstruits, et ses médecins sont payés grassement. Trente mille roubles par mois pour l’équivalent d’un PH, cela ne fait jamais que 720 euros, mais c’est tout de même six fois plus que dans la plupart des hôpitaux russes (l’équivalent du SMIC s’élève à 4610 roubles, 110 euros). Toute faveur a sa contrepartie : les dessous-de-table sont formellement interdits. Et gare aux contrevenants! Le médecin-chef de l’hôpital veille au grain.
« Nous avons gardé un bon principe de direction : la carotte et le bâton », déclare le Pr Vladimir Porhanov. Les photos de Medvedev et Poutine trônent en bonne place sur son bureau. Le médecin-chef ajoute, le visage sérieux : « Les gens, quand ils reçoivent leur argent, ils travaillent. Ils ne font jamais de grève ».
Les médecins se disent contents de leur sort. « J’aime beaucoup mon travail, je le préfère à ma femme », confie ce praticien, qui, surpris par son élan de franchise, préfère taire son nom. La notoriété de l’hôpital n°1 attire les meilleurs. « Ce centre est unique en Russie car nous faisons beaucoup de transplantations, et très vite », expose le Pr Vladimir Medvedev. La première greffe, un rein, a été faite il y a dix ans. Depuis, l’hôpital greffe des cœurs, des foies, des poumons, des pancréas, avec un taux de survie comparable à l’Europe. Le Pr Medvedev dirige le service de transplantation de l’hôpital. Ses traits sont tirés, il a enchaîné treize opérations en quatre jours. Il ne se plaint pas. « Je ne compte pas mes heures de travail. Je suis là le samedi et le dimanche s’il y a des urgences ». L’organisation des soins à la française, le chirurgien l’a découverte en 2001 lors d’un stage à l’institut Montsouris, à Paris. Mais il se garde d’établir des comparaisons. « Le financement, les mentalités : tout est différent ». Le Dr Nataliya Stavitskaya a fait un stage à Nîmes, elle aussi connaît la France. Le bon état de santé des Européens l’a frappée. « Beaucoup de Russes ne pensent pas à la maladie, jusqu’au moment où c’est très grave. C’est pourquoi la Russie fait aujourd’hui beaucoup de propagande pour promouvoir un mode de vie sain ».
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