Le dépistage néonatal à l’heure des progrès de la biologie

Des questions éthiques complexes

Publié le 17/11/2014
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Mis en place en France en 1972 pour la phénylcétonurie, le dépistage néonatal (DNN) a été élargi à l’hypothyroïdie en 1978, à l’hyperplasie congénitale des surrénales et à la drépanocytose (dépistage ciblé) en 1995 et enfin en 2002 à la mucoviscidose.

Il a permis de dépister près de 19 000 nouveau-nés atteints d’une de ces maladies, qui ont donc pu bénéficier d’une prise en charge très précoce.

Les techniques de biologie ont elles aussi évolué. La Spectrométrie de masse en tandem (MS-MS) est utilisée dans de nombreux pays depuis une vingtaine d’années. Elle permet de dépister de nombreuses maladies du métabolisme intermédiaire (aminoacidopathies, aciduries organiques et anomalies de la bêta-oxydation mitochondriale), et de réaliser un dépistage de masse des maladies lysosomales et de celles liées aux molécules complexes.

La Haute Autorité de santé a répondu favorablement à la demande d’utilisation de la MS-MS pour étendre le dépistage au seul déficit en MCAD (Acyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne). Cette maladie métabolique qui touche entre 1/8 000 et 1/25 000 nouveau-nés en Europe peut entraîner coma et décès en situation de jeûne, évitables grâce à une prise en charge basée sur le respect de règles diététiques.

Coût, éthique et organisation

La MS-MS permet d’identifier une trentaine de maladies différentes, certaines non accessibles à un traitement. Il est techniquement possible de ne réaliser que le dépistage du déficit en MCAD en cachant les autres données, mais cela pose bien sûr des questions éthiques. Il s’agit par ailleurs d’une procédure assez lourde, mais qui dispose d’une capacité de débit importante : la HAS a assorti sa recommandation d’une demande de réorganisation profonde du DNN, avec une diminution du nombre de centres, qui devrait passer de plus d’une vingtaine actuellement à 12 à 15.

Le séquençage à très haut débit est une autre voie de progrès majeur, qui soulève également de nombreuses questions éthiques puisqu’il permet potentiellement d’analyser le génome entier à partir d’une simple goutte de sang.

« Les progrès de la biologie rendent aujourd’hui possible le dépistage de maladies, contre la majorité desquelles on ne peut rien faire, tout comme la découverte de variants dont on ne connaît pas la signification, expose le Pr Sarles. Que faudrait-il faire de ces informations ? Que faudrait-il dire aux parents ? Les enfants ainsi dépistés devraient-ils être suivis dans un système de soins sophistiqués et pour quels bénéfices ? Sans compter les conséquences que de telles données pourraient avoir sur la gestion des systèmes de santé privés et le calcul des primes d’assurance dans certains pays ».

Ces évolutions techniques doivent absolument être mises en regard des critères de Wilson et Jungner, élaborés à la fin des années 1960 pour sélectionner les maladies pouvant bénéficier d’un dépistage: la prévalence de la maladie, sa gravité, son histoire naturelle (avec notamment une phase de latence entre la phase préclinique et l’évolution symptomatique) et la disponibilité d’un traitement efficace, et l’existence d’un test diagnostique fiable et acceptable pour la population. Enfin, le dépistage lui-même doit satisfaire à trois types de critères : coût, éthique et organisation.

«Si certains aménagements de ces critères, élaborés il y a plus de 40 ans, sont justifiés et motivent d’ailleurs de multiples débats, ils doivent toutefois rester au cœur de nos réflexions », estime le Pr Jacques Sarles. « Nous sommes là pour identifier une maladie grave pour laquelle il est possible de faire quelque chose qui sauve l’enfant. Il ne s’agit donc en aucun cas de faire le dépistage d’une maladie qui pourrait se développer à l’âge adulte et qui ne serait accessible à aucun traitement. Mais il ne faut pas non plus appliquer sans réfléchir le sacro-saint principe de précaution et refuser tout progrès », conclut le Pr Sarles.

Ceci montre bien la complexité des questions éthiques soulevées par le dépistage néonatal, enjeu de société fondamental, encore largement ignoré.

D’après un entretien avec le Pr Jacques Sarles, vice-président de l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFDPHE)

Dr Isabelle Hoppenot

Source : Bilan spécialistes