Les populations défavorisées ont souvent de nombreux facteurs de risque : comorbidités, état sanitaire général dégradé, taux de tabagisme plus important que la population générale… Ces populations ont également une tendance au sevrage tabagique spontané beaucoup plus faible que les catégories plus favorisées. Une étude britannique révèle notamment des taux d’arrêt deux fois plus faibles chez les fumeurs socialement défavorisés, malgré un nombre de tentatives d’arrêt similaire à celui des fumeurs ayant un meilleur statut socio-économique (1). Pour les populations précaires ayant perdu leur emploi et/ou rencontrant des problèmes dans leur vie privée, le fait de fumer reste parfois, leur seul plaisir. Et cela, même si les fins de mois difficiles sont, en partie, dus à l’achat de cigarettes. Cette dépense étant souvent privilégié au détriment de besoins plus essentiels.
Leonie Brose, professeure au Centre National des Addictions de l’Institut de Psychiatrie, Psychologie et neurosciences (IOPPN) du King’s College de Londres étudie les comportements et la prise en charge des fumeurs défavorisés (2) au Royaume-Uni depuis 2010. D’après cet expert, le principal frein au sevrage tabagique des fumeurs défavorisés provient du manque d’observance thérapeutique : « il est extrêmement difficile d’obtenir leur adhésion au traitement. Lorsqu’ils sont inscrits dans un programme de sevrage tabagique dans une clinique proposant un suivi spécialisé, ils le poursuivent rarement jusqu’au bout. Très souvent, ils l’arrêtent au bout de quelques semaines. Puis, ils ne reviennent plus à la clinique en question et se remettent à fumer. D’après une étude que j’ai récemment menée, 68 % des personnes les plus défavorisées socialement recommencent à fumer quatre semaines après le début de leur tentative de sevrage tabagique (3). Le taux d’échec est donc très important ». De fait, compte tenu des multiples problèmes (professionnels, familiaux, sociaux, sanitaires…) rencontrés, au quotidien, par les fumeurs défavorisés, l’arrêt du tabac passe souvent au second plan.
Un soutien émotionnel, informatif et matériel
En Angleterre, des programmes de sevrage tabagique sont organisés gracieusement, dans le cadre du National Health Service (NHS), le système de la santé publique du Royaume-Uni. Certains établissements proposent, en effet, un suivi hebdomadaire des patients sur environ six semaines pour les aider à arrêter de fumer. La prise en charge étant assurée par des infirmières ou des pharmaciens formés au sevrage tabagique (rarement par des médecins). « Les patients bénéficient, une fois par semaine, d’une consultation de suivi psychologique et thérapeutique. Ils peuvent ainsi discuter librement des difficultés rencontrées dans le cadre de leur sevrage et obtenir des traitements. Mon travail sur le sujet (3) montre, d’ailleurs, que les personnes les plus précaires optent plus volontiers pour un traitement combinant les gommes et patchs nicotiniques alors que les moins défavorisées préfèrent la varénicline », précise Leonie Brose.
Lors de chaque consultation de suivi du NHS, un test mesurant le taux de monoxyde de carbone (CO) dans les poumons est également effectué. « Dès le début du sevrage, la diminution du CO est notable : cela encourage les patients à poursuivre l’arrêt du tabac. Par ailleurs, dans le cadre des programmes d’aide au sevrage tabagique du NHS, la prise en charge et les traitements médicamenteux sont gratuits pour les populations précaires. Loin d’être parfaits, ces programmes proposés sont, à mon sens, les plus adaptés aux fumeurs défavorisés », note Leonie Brose.
Car pour prendre en compte au mieux la spécificité des fumeurs défavorisés, les consultations d’aide au sevrage tabagique doivent, leur offrir un accompagnement intégrant une solide dimension psychosociale via un soutien émotionnel, informatif, mais aussi matériel tel que la gratuité des traitements.
(1) Kotz D, West R. Explaining the social gradient in smoking cessation: it’s not in the trying, but in the succeeding. Tobacco Control 2009;18(1):43-6
(2) Dans les travaux de Leonie Brose, les fumeurs défavorisés sont notamment définis comme des personnes résidant dans des quartiers difficiles, caractérisés par un nombre important de chômeurs, de personnes ayant des problèmes de logement, de revenu et/ou de santé.
(3) L’étude de Leonie Brose n’est pas encore publiée. Elle a, toutefois été présentée lors du congrès national de la Société française de tabacologie 2014, à Paris
Article suivant
Légère progression
L’importance d’une prise en charge spécifique
Légère progression
Après l’amour, James Bond boit une bière…
L’intérêt d’une prise en charge spécifique
L’éducation, ça marche !
Ne pas banaliser ni stigmatiser
Une prise en charge longue et semée d’embûches
Le tabac creuse l’écart
Comment aider les patients
Un pilotage cohérent est nécessaire
Accès aux soins : il est urgent de mieux former les professionnels de santé
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation