Les médecins en colère gagnent le pari de la mobilisation

Publié le 15/03/2015
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Crédit photo : S. Toubon

A l'appel de l'ensemble des syndicats médicaux, étudiants, internes et seniors, sans oublier une myriade de syndicats de paramédicaux, le monde de la santé était invité, ce dimanche 15 mars, à défiler contre le projet de loi de santé de Marisol Touraine.

L'appel a été largement entendu. Entre 19 000 (selon la préfecture) et 40 000 manifestants (selon les organisateurs) étaient dans la rue à Paris ce15 mars après-midi. Une mobilisation réussie, mais qui n'a pas permis d'infléchir la position de Marisol Touraine

En fin de manifestation, une délégation de syndicats de jeunes et de seniors était reçue par la ministre de la Santé. À la sortie, les syndicalistes seniors ne cachaient pas leur déception. « La ministre s'enferme dans ses certitudes, regrettait Eric Henry, président du SML, il ne s'est rien passé ». À la CSMF, le Dr Jean-Paul Ortiz employait la même expression : « Il ne s'est rien passé, le prochain acte se déroulera à l'assemblée nationale, avec les amendements. »

Une manif réussie

Dès midi, sous un ciel gris, la place Denfert-Rochereau commence à se remplir. Des petits groupes de professionnels de santé se réunissent ici et là sur la place.

Les représentants du Mouvement pour la Santé de Tous avaient donné rendez-vous à la presse dans un café voisin. Les qualificatifs fleurent bon la mobilisation. Didier Legeay, du Bloc, fustige une « loi trotskyste, totalitaire », tandis que Philippe Tisserand, de la FNI (infirmiers), s'exclame en s'adressant à la ministre de la santé, « ça suffit, retirez votre loi ». Lamine Gharbi, de la FHP, accuse Marisol Touraine de mensonges répétés au sujet de son projet de loi. Enfin, Jérôme Marty, de l'UFML, demande tout à la fois le retrait du texte et la démission de la ministre. Bref, les esprits s'échauffent.

Dehors, vers 12h45, les manifestants arrivent de toutes parts. Une bonne cinquantaine de voitures de SOS Médecins bloque l'accès à la place par le boulevard Saint-Jacques. Le Docteur Jacques Lucas, vice-président du CNOM, cherche le point de ralliement des cardiologues. « L'ordre en tant que tel ne manifeste pas, précise-t-il, mais les ordinaux, oui. »

Près du boulevard Raspail, les internes préparent leurs panneaux. « Internes en colère », « loi malade », cohabitent avec « j'ai mal à ma médecine ». Une jeune interne ne mâche pas ses mots : « Les pouvoirs publics nous prennent pour des imbéciles, estime-t-elle, il n'est pas possible de négocier avec eux. »

Un autre ordinal, le Dr Bernard Le Douarin, arrive à son tour. Manifestement, les éléments de langage ont été bien rodés : « L'institution n'est pas à la manifestation, explique-t-il, mais les ordinaux y sont. » Arrive un troisième ordinal. Lui aussi vice-président, le Dr Patrick Romestaing est là également « à titre personnel ».

Rassemblement inter-générationnel

Les sonos des camions testent leurs systèmes dans un joyeux désordre. La manifestation n'a que faire de la géographie : des banderoles de médecins d'outre-mers en côtoient d'autres du Loiret. Des couples étranges se forment, portant l'un un panneau CSMF, l'autre un calicot MG France. L'ambiance est bon enfant.

A l'angle de l'avenue René Coty, où ont rendez-vous les manifestants du Mouvement pour la Santé de Tous, le Dr Eric Henry, patron du SML, souffre déjà d'un début d'extinction de voix à force de s'époumoner dans son micro. Qu'à cela ne tienne, il jette des ballons gonflables par centaines aux manifestants.

Plus loin, les membres de l'Union des syndicats médicaux des Yvelines défilent déguisés en bagnards. En face, des médecins bretons jouent du biniou. À l'autre bout de la place, des membres de la FMF déploient une banderole : « Les médecins vous soignent, les mutuelles vous saignent. » La manifestation n'est toujours pas partie, et la place Denfert-Rochereau ressemble à une immense scène où chacun répète son rôle.

Vers 13h45, à l'angle du boulevard Raspail, une longue banderole est tenue par différents responsables syndicaux, réunis dans un œcuménisme palpable. Luc Duquesnel, président de l'UNOF, côtoie Claude Leicher patron de MG France. Emporté par les rythmes d'une sono toute proche, ce dernier esquisse même un pas de danse. « T'as vu, s'exclame un interne en blouse blanche à un ami, même Leicher danse, c'est mythique ! »

A deux pas de lui, Luc Duquesnel n'en finit pas de vanter le caractère « inter-générationnel » de la manifestation. Seront-ils reçus par la ministre en fin d'après-midi ? « Ça n'a plus d'importance », lâche-t-il laconiquement.

Un membre de Reagjir (jeunes médecins) explique les raisons de sa présence. « Quoiqu'en dise la ministre, Il n'y a eu aucune concertation, juge-t-il. En plus, les soins primaires sont absents du texte de loi. » Un interne s'interpose : « Qu'on se destine à l'exercice libéral ou hospitalier, nous voulons du changement. On forme les étudiants sans anticiper les besoins médicaux de demain. Il faut réformer en profondeur le système de santé, c'est pour ça que nous demandons une réécriture de la loi. »

Les sonos à fond

À 14 heures, le cortège s'ébranle dans un déluge de décibels. Sur un char entouré d'internes surexcités, l'un d'entre eux s'adresse à la ministre en hurlant dans son micro. Il lui demande si elle a conscience de l'endroit où il compte remiser son projet de loi. La foule a l'air de le savoir...

A 14h20, la magie continue d'opérer : Claude Leicher, toujours en tête du cortège, se retrouve à côté du Dr Jean-Paul Hamon, patron de la FMF.

A l'avant du cortège, défilent la CSMF et MG France, partisans d'une réécriture de la loi. A l'arrière, les syndicats réunis dans le Mouvement pour la Santé de Tous, partisans d'un retrait pur et simple du texte. Au centre, les étudiants, les internes, les externes, les chefs de clinique, rythment la marche à grand renfort de décibels. Dans leurs rangs, musique et slogans sont au niveau sonore maximum. Un porte parole des étudiants n'en peut plus : « Quelqu'un a-t-il une pastille pour la gorge ? » hurle-t-il au micro d'une voix éraillée.

Un peu plus loin, quelques manifestants portent des panneaux indiquant « vapoteurs-électeurs ». Ils contestent l'article 53 du projet de loi qui restreint selon eux l'usage de la cigarette électronique et risque de les faire replonger dans le tabac.

Après avoir un temps défilé au début du cortège, le Dr Eric Henry est maintenant dans le char du Mouvement pour la Santé de Tous. Il lit au micro une lettre ouverte adressée à Marisol Touraine. Son projet de loi y est qualifié de « pansement sur une plaie profonde que le gouvernement n'arrive pas à cicatriser ». Chaque paragraphe de sa lettre se conclut par « et c'est pourquoi, Madame la ministre, votre loi, on n'en veut plus », repris en cœur par la foule. Il est manifestement dans son élément.

Vers 15h15, la tête du cortège passe devant le célèbre café « La Coupole ». Des touristes étrangers regardent le cortège d' un air amusé. Pas sûr cependant qu'ils comprennent ce que veulent dire les étudiants qui proposent de mettre « Marisol dans l'formol ». Sur le boulevard du Montparnasse, du côté des jeunes, l'ambiance est à son comble. Sono à fond, fumigènes, le spectacle de ces milliers de blouses blanches dansant au milieu de la voie est un peu surréaliste. « C'est la Gay Pride des internes », s'écrie l'un d'eux.

Revoir le Live de la manif

Henri de Saint Roman

Source : lequotidiendumedecin.fr
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